“Tourguéniev, le doux géant, l’aimable barbare avec ses blancs cheveux lui tombant sur les yeux, le pli profond qui creuse son front d’une tempe à l’autre, pareil à un sillon de charrue, avec son parler enfantin nous charme, nous enguirlande, suivant l’expression russe, par ce mélange de naïveté et de finesse – la séduction de la race slave, relevée chez lui par l’originalité d’un esprit supérieur, par un savoir immense et cosmopolite.”
Tourguéniev (1818 – 1883) connaîtra très tôt l’injustice et l’absence de liberté qui règnent dans son pays.
Sa mère possédait 10 villages, cinq mille âmes (si on ne compte que les hommes ; les femmes et les filles n’avaient pas d’âmes !) qu’elle mène, tout comme ses fils, sous le knout. Pour exemple, le serf qui apprit la poésie russe à Ivan sera envoyé par sa despotique maîtresse en exil pour cette conduite jugée trop indépendante et subversive.
Cette école de la vie marquera Ivan à jamais ; il se battra tout au long de sa vie pour faire respecter la liberté et les droits de l’Homme. Ces idéaux nourriront constamment son œuvre qui contribuera au développement des idées progressistes en Russie.
Les 25 nouvelles qui constitueront les Mémoires d’un chasseur échapperont au filet de la censure, mais seront jugées subversives : ses descriptions ” mettent à nu les aspects contradictoires et tragiques du servage “.
Ces nouvelles lui vaudront un mois de prison à l’Amirauté pendant lequel il écrira le plus vibrant réquisitoire contre le servage, Moumou, où sa mère et ses serfs sont mis en scène.
Tourgueniev et ses contemporains
Ivan Tourguéniev est un esprit libéral et modéré, épris de progrès social et favorable aux réformes. Michel Cadot dit de lui :
Slavophile et occidental, russe et européen, libéral et conservateur, romantique et réaliste, Tourguéniev est un témoin attachant et lucide du processus qui a amené la Russie patriarcale aux nécessaires et douloureux bouleversements du XXème siècle.
Maître de la prose russe, « Tourguéniev » a chanté poétiquement le paysage de sa terre, la jeune fille russe, le moujik déshérité dont il a observé et traduit fidèlement les habitudes et le langage.
Tourguéniev est aussi un peintre de l’amour, des amoureux et des amants maudits. Son sens de l’observation, de la description exacte et de l’étude psychologique fait de lui un écrivain attachant et très lu aux quatre coins du monde, au Japon, en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, bien sûr, où son univers attire tant de lecteurs, enfin dans son pays d’adoption, la France où il a vécu 38 ans, où il a connu les plus grands écrivains et artistes français de son temps, où il a fait construire ce chalet dans lequel il s’est éteint un jour d’été et qui est devenu un lieu de pèlerinage pour tous les hommes épris de beauté et de liberté.